« Je vais changer de genre et je voudrais que tu suives ça, d’un point de vue artistique, ça t’intéresserait ? »
J’ai dit oui, immédiatement. Et j’ai rajouté : texte ou photo ?
Il m’a répondu : oh, comme tu veux.
C’était une femme quand il me l’a proposé, qui allait devenir un homme.
Comme tu veux a été le pacte entre nous. On s’est revu une fois, puis régulièrement, chaque semaine ou tous les quinze jours, pendant plus d’un an, presque deux. Dès le départ j’ai dit, je ne noterai rien pendant nos rencontres, j’écrirai de mémoire. Au bout d’un mois, j’écrivais il, lui, sans plus m’en soucier, n’ayant jamais utilisé son prénom féminin, je l’ai tout de suite appelé par son prénom masculin. Puis j’ai commencé à prendre des photos pendant qu’il parlait.
Le sujet du changement de genre m’a beaucoup intéressé lorsque j’étais adolescente. Je n’en ai jamais parlé, à part à ma grand-mère, un été. Je n’en ai jamais parlé.
Jusqu’à ce qu’il me fasse cette proposition.
Presqu’île. C’est pour moi, celle que l’on atteint en barque parce que la route n’existe pas. Elle est difficile d’accès et on est chaque fois heureux d’y accoster. C’est une presqu’île sauvage, qui ne me fait pas peur, parce que ce presque change la donne. Un jour à pied s’il le faut, la traversée pourra se faire.
Le masculin qui m’intrigue, c’est le X au prénom de mon cousin que j’écris en grand en frottant un marron sur le mur du garage. Cette lettre dont je suis jalouse, pourquoi je n’ai pas la même ? Pourquoi on ne m’a pas demandé avant comment je voulais m’appeler ?
Cette sensation de signer sans que ce soit moi tout à fait. C’était un hommage. Que je nierai devant la mine sévère de chaque adulte venu me questionner et les yeux affolés de mon cousin qui remue la tête, qui comme moi répète c’est pas moi c’est pas moi.
Mais pourquoi t’écris ?
Pour quoi tes cris ?
Ancien poste frontière (France, Espagne)