« Il n’y a rien à faire, c’est obsédant et ça m’obsède »
Chantal Akerman.

Pour tenter d’explorer les Sudètes, il faut s’armer de patience. Autrefois prospères, aujourd’hui semi-désertiques et d’une sombre beauté, ces régions ne se livrent pas à l’intrus, au curieux de passage.
Bien qu’ayant passé plus de 3 ans à photographier les Sudètes, jusqu’à il y a peu, j’ignorais encore pourquoi diable j’avais démarré ce projet. La seule et tenace certitude était qu’il fallait continuer, aller jusqu’au bout du voyage même sans savoir encore quelle route prendre…
Immédiatement, les Sudètes ont résisté, élevant des barrières linguistiques et culturelles. Il s’agitlà d’un sujet tabou, dont personne n’a envie de parler, aussi bien les Tchèques que les Allemands.
À l’image de tous ces villages détruits à partir des années 50, beaucoup de traces de la mémoire Sudète ne sont plus que ruines ou déjà complètement effacées. Comment photographier le souvenir d’un lieu rayé de la carte ? Capturer un référent absent ?
Le destin tragique de ces terres, littéralement au centre géographique de l’Europe, sonne comme un avertissement du passé récent à notre présent qui se croit pour de bon à l’abri de l’horreur. Comment ces régions d’une beauté âpre et sauvage, baignées par une lumière sublime, ont pu servir de décors à une pièce de théâtre aussi sordide et violente.
Tenter de photographier les Sudètes, c’est affronter notre impuissance face à ce gâchis, impuissance aussi face à notre rapport à la mémoire, au temps, dans un monde moderne en proie à une vitesse excessive de consommation, à la culture du zapping. Mais constater une impuissance n’est pas une défaite. Dans l’impuissance assumée, se cache une résistance, une manière discrète mais déterminée, de continuer à penser, de rester encore debout, vivant.

http://www.philippedollo.com/

Mur de la station de train RENFE (Portbou, Espagne)

 

Philippe Dollo, février 2015